Les sels de voirie : pour le meilleur ou pour le pire

 


 

par Marcel Tremblay,
collaboration spéciale

 

Le sel fondu ou calcium sur nos bottes et pantalons, vous connaissez ? Nos rues et trottoirs en sont pleins l'hiver. Ce sel nous procure bien des avantages, surtout lorsque la chaussée est glissante et que notre sécurité est en jeu. Il nous donne le meilleur et le pire... permettant la poursuite de nos activités quotidiennes mais, en même temps, il détériore les sols, l'air, les infrastructures, l'eau souterraine et de surface.

À l'heure des grands enjeux du développement durable, nous nous demandons comment diminuer ces effets sur l'environnement tout en préservant la qualité des services reçus ? Le milieu de l'épandage des sels de voirie aimerait bien répondre à cette question.

Mythes et légendes urbaines
Le réseau routier canadien, d'une valeur estimée à 100 milliards $, couvre 1,42 million de km sur lesquels circulent quelque 17 millions de véhicules. Pendant la saison hivernale, les épandeuses utilisent environ 5 millions de tonnes de sel. De ce sel, 50 à 60% est acheté et distribué par les municipalités, 30 à 45% par les provinces et 5 à 10% par le secteur privé.

Durant les années 70, on utilisait de 500 à 700 kg de sel sur chaque kilomètre de routes. En 1974, le ministère des Transports du Québec mettait sur pied un système de régulation d'épandage "limitant" la quantité utilisée à 350 kg/km. Cette mesure visait à aider les épandeurs privés, les provinces et les municipalités (propriétaires des entrepôts de sel) lors de leurs opérations d'entretien. À cette époque, on croyait assurer la sécurité en n'ajoutant que du sel. Aujourd'hui, on reconnaît que ce n'est pas la quantité qui fait la différence mais bien un juste mélange de sel et d'abrasif.

Comme l'explique Yvan Grenier, directeur général de l'Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec, "au cours de ces années, les entrepreneurs ne payaient pas le sel qu'ils épandaient, alors ils en mettaient. Ils oubliaient qu'en temps très froid, il n'agissait plus contre la neige et la glace qui demeuraient sur la chaussée. Également, la technologie ne permettait pas de procéder aux dosages optimaux des sels et abrasifs utilisés. Maintenant, ils paient pour le sel et les épandeuses sont équipées de calibreurs électroniques. Les entrepreneurs ont donc les outils nécessaires pour prendre les bonnes décisions. Évidemment, les enjeux environnementaux bousculent un peu tout le monde en poussant l'industrie à les respecter davantage."

Épandre du sel sur la chaussée pour garantir la sécurité publique est la meilleure méthode que nous ayons. Évidemment, chaque fois que nous nous rendons au travail après une chute de neige, nous en ressentons plus clairement les avantages. Par contre, lorsque nous circulons sur une autoroute dégagée, n'oublions pas les effets qu'a le sel sur les sols, l'air, les eaux et les infrastructures qui avoisinent cette dernière. Tout n'est pas blanc comme neige.

Au Québec, le principal fondant utilisé est le chlorure de sodium, communément appelé sel de voirie. Ses propriétés chimiques lui permettent de faire fondre la glace ou la neige jusqu'à une certaine température. Par contre, par temps très froid il cesse de réagir. Il faut donc l'aider en y ajoutant un pourcentage de sel hygroscopique (de l'ordre de 5% à 25%), ce qui lui permet d'agir jusqu'à -8°C ou -10°C, selon le taux d'humidité de l'air. Par la suite, les mélanges avec des abrasifs comme la pierre et le sable débutent, empêchant notamment l'accrochage ou le durcissement de la couche de neige sur la chaussée. Et, en plus d'éliminer la couche de neige résiduelle qui demeure après le passage de la gratte, il empêche la formation de la glace.

Les effets sur l'environnement
Selon Environnement Canada, la contamination des eaux de surface et souterraines par le sel est importante dans les régions où on l'utilise de façon intensive, notamment le long des grandes voies rapides et à proximité des entrepôts de sel, ce que confirme Monsieur Grenier.

"Malgré la réglementation qui exige que tout entrepôt de sel repose sur un sol opaque et qu'il soit couvert afin d'éviter les fuites lors des fontes causées par la chaleur ou la pluie, il y a toujours des impondérables contre lesquels nous ne pouvons rien. Et, nous savons pertinemment qu'étant donné leurs niveaux de priorité de service, les autoroutes, comme la 20 par exemple, doivent être couvertes de sel en permanence et leurs chaussées, dégagées. C'est la raison pour laquelle on y trouve plus de sel qu'ailleurs."

La forte circulation et le vent créent un brouillard salin qui affecte l'air et l'eau de ruissellement, touchant ainsi directement la croissance et la vitalité de la végétation environnante. Enfin, en plus de modifier la composition chimique des métaux contenus dans les sols argileux, le calcium pénètre dans les ruisseaux, lacs ou fleuves, et en détériore la biodiversité aquatique.

Au Canada, il n'existe pas de règlement fédéral régissant directement les niveaux d'épandage du sel ou ses concentrations dans l'environnement. Les seules normes nationales sont les Recommandations pour la qualité de l'eau potable au Canada, mises en vigueur en mars 2001. Or, depuis cette date, plusieurs avenues ont été proposées pour en créer un.

Rappelons qu'après une chute de neige, on procède à l'enlèvement de celle-ci, au grattage de la surface et à l'épandage des sels et/ou des abrasifs. Ce qui détermine l'emploi de ces derniers, c'est généralement la température avant la chute de neige, celle au moment de la prise de décision ainsi que la densité de la circulation. Cette façon de procéder est décrite d'une manière plus formelle dans le "Guide d'application des matériaux de déglaçage" publié par le gouvernement québécois. Évidemment, l'expérience du contractant et la priorité de déneigement de la route sont d'autres facteurs essentiels qui détermineront l'emploi de ces matériaux.

Un Code de pratique des sels de voirie!
L'entretien du réseau routier québécois est sous la juridiction du ministère des Transports du Québec. Le secteur privé reçoit plus de 80% des contrats de déneigement. Actuellement, mentionne Yvan Grenier, "les seules exigences auxquelles sont soumis les contractants sont celles contenues dans les devis d'appels d'offres. Généralement, ces devis mettent l'accent sur les résultats, laissant une certaine marge de manuvre quant aux moyens à employer pour atteindre ceux-ci."

Il y a deux ans, le ministère de l'Environnement et celui de Santé Publique Canada ont recommandé d'inclure le sel de voirie (produit reconnu pour sa toxicité) dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999). Parce que le sel est nécessaire pour assurer la sécurité publique, il a été décidé d'établir une ligne directrice ou un Code de pratique avant le 1er décembre 2003. Ce Code propose des mesures de prévention et de contrôle devant s'appliquer à toute entité publique utilisant du sel ou étant responsable de son utilisation sur les routes publiques du Canada. La publication de ce code dans la Gazette du Canada est parue au mois de novembre 2003.

L'industrie ne demande que de suivre le pas!
Pour Jacques Raymond de Junex-Solnat et coprésident de la direction IVHER - de l'Association québécoise du transport et des routes (AQTR), "l'effet du sel sur l'environnement oblige les épandeurs à revoir certaines de leurs méthodes de travail, notamment lors de la prise de décision quant à son utilisation. Des techniques de travail plus "écologiques" existent mais sont encore très peu généralisées. Ainsi, outre les régulateurs électroniques d'épandage et les systèmes de météo-routes (qui produisent des données en temps réel sur les conditions de la chaussée et de météo), on peut voir ce qui se fait ailleurs et l'adapter. Il reste beaucoup d'éducation à faire mais, ce qui est stimulant c'est que les gens veulent participer."

Parmi les autres techniques, il y a l'épandage d'un déglaçant avant un gel ou une chute de neige qui empêche la neige et la glace de coller à la surface de la route. Ou encore, il y a l'ajout d'un liquide à ce déglaçant ou à des abrasifs avant leur épandage qui va accélérer la fonte et améliorer l'adhérence à la chaussée.

Même s'il n'y a aucun guide officiel de conduite dans l'industrie, il existe tout de même une façon de travailler. Pour Yvan Grenier, "actuellement, outre quelques cours offerts par l'AQTR, notamment par l'entremise de l'Institut de la viabilité hivernale et de l'entretien routier (IVHER), tout s'apprend sur le terrain. L'entrepreneur qui soumet une offre de service auprès d'une municipalité doit seulement avoir une pré-qualification comme un certain nombre d'années d'expérience et une quantité minimale de camions disponibles pour effectuer le travail."

Toujours selon l'AQTR, les donneurs d'ouvrages exigent dans les devis soumis aux entrepreneurs des objectifs précis à rencontrer selon les niveaux de priorités du réseau routier. Les autoroutes doivent rapidement être mises sur l'asphalte et, le sel et les abrasifs, y être en permanence. Aujourd'hui, l'importance de la détérioration de l'environnement oblige l'industrie à mesurer davantage l'effet des sels.

De plus en plus soucieuse des enjeux du développement durable, l'industrie prend conscience qu'elle a un rôle à jouer. Puisque le ministère des Transports du Québec donne la grande majorité des contrats de déneigement aux municipalités et aux entrepreneurs privés, ces derniers sont biens placés pour promouvoir de bonnes pratiques. Après le passage de la gratte, la voie est toute tracée pour répondre à la question "comment faire" pour garantir la sécurité et préserver la qualité de notre environnement. Commençons par mettre un peu moins de sel, notre santé n'en sera que meilleure.


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