Quelques mots sur les brevets...


Par Sylvie Lequin,avocate
collaboration spéciale

 

Pour la majorité des gens, les plaisirs et les soucis quotidiens l'emportent sur les longues rêveries scientifiques. Pour d'autres, ces illustres inconnus, aucun chemin n'est sentier battu. Et pour ces esprits inventifs, il n'est pas exceptionnel de travailler, par exemple, à la concrétisation du mouvement perpétuel, à la conception et au perfectionnement de l'aérovoiture ou à la reproduction d'organes en laboratoire.

En effet, cette élite inventive s'applique sans cesse à la concrétisation d'objets de plus en plus perfectionnés, efficaces et révolutionnaires. Cependant, une fois que l'objet de leur pensée est réalisé et éprouvé, c'est-à-dire une fois que l'inventeur sait que son invention fonctionne, est-ce qu'il doit la breveter?

En matière de brevets, comme dans bien des domaines, il existe autant d'opinions que de facteurs à considérer.

Le scénario se déroule habituellement comme suit: l'inventeur novice désireux de protéger sa nouvelle invention fait appel à un agent de brevet ou à un avocat spécialisé en brevets. Souvent, il sera soucieux des coûts reliés à l'obtention d'un brevet. Surtout, l'inventeur voudra s'informer de la nécessité de divulguer au grand jour son invention par la publication de sa demande de brevet. Il aimera savoir si son invention ne serait pas autant protégée par le secret de commerce. Pour leur part, certaines petites et moyennes entreprises craindront de ne pas être financièrment en mesure, après avoir réussi à obtenir un brevet, d'exercer les droits conférés par le brevet et relatifs à l'exploitation de leur invention.

Toutefois, certains inventeurs, dès le départ, miseront davantage sur la commercialisation de leur invention brevetée, sur la recherche stratégique des pays où une demande de brevet doit être déposée et sur la création et l'implantation d'un portefeuille d'actifs de propriété intellectuelle dans le but d'attirer des investisseurs et des partenaires pour l'exploitation de marchés internationaux. Ces inventeurs miseront avant tout sur un plan d'affaires stratégique et énergique.

Lorsqu'on parle des différences entre le secret de commerce ou le brevet, les gens réfèrent souvent à la recette de boissons gazeuses de Coca-Cola à titre d'exemple d'un secret commercial qui a fait ses preuves. Mais on ne peut y référer sans faire mention, entre autres, du remarquable et extraordinaire portefeuille de marques de commerce de Coca-Cola. Plus récemment, en matière de brevets, c'est le récit des casse-tête à trois dimensions de Wrebbit et de l'ingénieuse stratégie commerciale internationale de M. Paul Gallant qui est davantage citée en exemple.

Cependant, avant de traiter des avantages et des inconvénients du brevet (un sujet qui mériterait qu'on y consacre un livre entier...) une question primordiale se pose: qu'est-ce qui peut être breveté? À titre de corollaire, il serait presque plus aisé de se demander: qu'est-ce qui ne peut pas être breveté?

Inventions brevetables
Les idées, principes et concepts scientifiques, formules mathématiques, traitements visant à guérir une maladie, plans d'affaires et concepts théoriques ne sont pas brevetables, tout comme la simple découverte d'une création ou d'un produit de la nature.

Les inventions suivantes, si elles sont nouvelles, utiles, reproductibles et non évidentes sont brevetables: toute réalisation ainsi que tout procédé, machine, fabrication ou composition de matière, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'entre eux. Cette liste comprend les produits de consommation et industriels (les produits, compositions, combinaisons ou procédés mécaniques, optiques, électriques, chimiques, biologiques ou physiques). Elle comprend également tout article fabriqué à la main et tout article produit par main-d'oeuvre et/ou par machinerie.

L'inventeur doit aussi avoir un certain contrôle sur la création et le développement de son invention. Pour qu'une invention soit brevetable, elle doit s'avérer utile, exploitable et pratique. En ce qui concerne les critères de brevetabilité, et plus particulièrement le critère de nouveauté, cela signifie généralement que l'invention ne doit pas avoir été construite par toute autre personne au monde. De plus, pour être brevetable, l'invention doit s'avérer non-évidente pour une personne qui oeuvre dans le domaine spécifique de l'invention. Par ailleurs, un effort inventif est nécessaire. Fréquemment, l'invention répondra à un problème de longue date non résolu, elle sera inattendue et connaîtra un succès immédiat dans l'industrie.

Une invention pourra également être une amélioration d'une invention antérieure, pourvu que celle-ci soit nouvelle, utile, reproductible et non-évidente.

La protection par brevet
En échange de la divulgation complète de l'invention, le gouvernement accorde à l'inventeur un droit et un privilège exclusif de fabriquer, construire, utiliser et vendre son invention dans le pays. Le brevet est valide pour une période de vingt (20) ans à partir de la date du dépôt de la demande de brevet et il est valide dans tout pays où le brevet fut demandé et octroyé. Le brevet donne à l'inventeur le droit d'empêcher toute personne de fabriquer, d'utiliser, de vendre, d'importer ou d'offrir en vente son invention. Grâce au brevet, l'inventeur peut poursuivre tout contrefacteur de l'invention pour dommages. L'inventeur peut également obtenir une ordonnance de la Cour pour faire cesser immédiatement les activités des contrefacteurs.

Un inventeur peut obtenir un brevet pour son invention dans plusieurs pays, et bien que chaque pays possède ses propres lois spécifiques en matière de brevets, il existe une certaine cohérence et uniformité parmi les lois des pays industrialisés.

Un exemple récent de la portée d'une telle protection sur les marchés mondiaux est celui de la lutte d'Iomega et de sa victoire sur les contrefacteurs de ses disquettes et lecteurs ZIP brevetés. En fait, grâce aux brevets et autres droits de propriété intellectuelle que Iomega détenait sur ses disquettes et ses lecteurs informatiques, la compagnie fut en mesure, au moyen de diverses poursuites judiciaires entreprises dans plusieurs pays, d'arrêter rapidement les activités des contrefacteurs et de maintenir sa position concurrentielle sur le marché international.

Bien entendu, les critiques prétendront qu'il est trop onéreux de faire respecter les droits inhérents à l'exploitation et à la protection d'un brevet. Or, cette prétention est exagérée lorsqu'on considère que neuf fois sur dix, les contrefacteurs cessent leurs activités après la réception d'une mise en demeure transmise par le propriétaire du brevet. D'ailleurs, la plupart du temps, les infractions sont arrêtées avant l'institution de procédures judiciaires. Au Canada, les causes relatives à la contrefaçon de brevets sont peu nombreuses, la plupart d'entre elles se réglant hors de Cour et ne se rendant donc pas à procès.

L'exploitation d'un brevet
Une fois que le brevet a été accordé, l'inventeur ou le proprétaire du brevet doit par la suite commercialiser son invention brevetée. Il va sans dire que l'exploitation et la protection du brevet sont intimement liées à sa mise en marché et à un effort de commercialisation considérable. En effet, les inventeurs et propriétaires de brevet espèrent, entre autres, ouvrir de nouveaux créneaux, protéger les marchés déjà acquis, arrêter leurs compétiteurs, former des alliances stratégiques, créer des opportunités d'investissements, etc.

En ce sens, la protection et l'exploitation d'un brevet impliquent nécessairement la mise sur pied d'une équipe d'intervenants experts. Cette équipe verra à la recherche d'applications potentielles et réelles de l'invention, à l'ouverture et à la création de marchés cibles, au suivi des activités des compétiteurs et au marketing efficace de la nouvelle invention. Bref, les intervenants devront décider des approches préventives à entreprendre pour garantir le succès commercial de l'invention brevetée. Ils devront également voir à la juste évaluation de la valeur de l'invention et à l'élaboration d'un portefeuille de brevets, de dessins industriels et/ou de marques de commerce. L'équipe devra de plus dénicher les partenaires et les investisseurs les plus intéressés et intéressants pour la commercialisation de l'invention.

À toutes fins pratiques, l'évaluation de l'invention est capitale pour son succès commercial mais les moyens et les outils nécessaires à une juste évaluation restent méconnus de la plupart des inventeurs et propriétaires de brevets, qui n'y recourrent pas suffisamment. Ce regroupement "d'associés" est donc essentiel pour les inventeurs et propriétaires de brevets qui désirent s'assurer une position dominante sur un marché et qui veulent maximiser le potentiel de leur invention.

Finalement, après la création d'une invention, mais avant sa mise en marché, tout inventeur se demandera "qu'est-ce que je risque en ne faisant pas breveter mon invention?"

Le secret de commerce
En principe, le secret de commerce peut être utile pour proteger une invention si la façon de fabriquer l'invention peut demeurer confidentielle. C'est-à-dire que le secret de commerce peut être utile s'il implique qu'un compétiteur, en achetant le produit en question (l'invention) aurait de la difficulté à découvrir comment reproduire et commercialiser le même produit. On recourt donc plus souvent au secret de commerce dans certaines industries où il est difficile d'identifier les matériaux, la "recette" ou le mécanisme de l'invention. De plus, les secrets de commerce peuvent être utilisés dans les domaines où l'invention n'est pas exposée ou vendue au public, mais reste plutôt, par exemple, à l'intérieur d'un immeuble de la compagnie. Le secret de commerce peut également être profitable si la vie commerciale de l'invention n'est pas de longue durée ou si l'invention est en constante évolution.

La protection offerte par le secret de commerce ne peut être efficace que dans la mesure des démarches entreprises par l'inventeur ou par le propriétaire pour conserver confidentiels les renseignements et informations liés à l'invention. En effet, les compagnies qui décident garder leurs inventions secrètes doivent adopter des normes et règlements traitant de la confidentialité des informations, communications et renseignements liés à l'invention. Elles doivent aussi avoir des ententes de confidentialité, de non-divulgation d'informations et de non-concurrence avec leurs employés et partenaires d'affaires.

Bien entendu, lorsqu'un secret de commerce cesse d'être secret, c'est la libre concurrence qui l'emporte.

Les coûts
Il est suggéré à l'inventeur d'obtenir un estimé des coûts reliés à l'obtention d'un brevet. Selon le nombre de pays où le brevet est demandé, il peut y avoir des coûts importants liés aux frais de demandes, d'examen, de délivrance, de maintien, de traduction et pour les honoraires du représentant national et des correspondants internationaux. Au bas mot, il est à prévoir quelques miliers de dollars pour le dépôt et l'octroi d'une demande de brevet au Canada.

Par ailleurs, en ce qui concerne les secrets de commerce, souvent les coûts afférents à ce genre de protection sont cachés et donc, difficiles à anticiper. En effet, il est à prévoir les honoraires professionnels nécessaires à la rédaction de contrats de travail et d'ententes commerciales faisant foi de la nature confidentielle du secret de commerce et des obligations des parties à garder secret l'invention. D'autres frais peuvent être attitrés aux dépenses nécessaires à l'administration des informations secrètes, à la vérification des communications de l'entreprise, à l'implantation de mesures de sécurité ou de surveillance.

Bref...
La décision de breveter ou de ne pas breveter est complexe. Plusieurs facteurs doivent être considérés, plusieurs risques évalués, des opportunités créées et un soutien financier doit être obtenu. Il faut être réaliste et pratique, tout en étant optimiste et energique. Il n'est donc pas suffisant aujourd'hui de demander un brevet pour s'assurer un monopole d'exploitation. Les inventeurs doivent chercher d'emblée des partenaires qui partageront le même but: le succès commercial de l'invention.


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